Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse 2025 :
Restaurer les terres. Saisir les opportunités.

M. Youssouf AMADOU
Responsable de Gestion de Projets
Spécialiste de Développement Durable
Observatoire du Sahara et du Sahel
En ce 17 juin, la planète tourne son regard vers un fléau silencieux, insidieux, mais profondément dévastateur : la désertification et la sécheresse. Derrière ces mots, ce sont des terres qui s’épuisent, des cultures qui s’éteignent et des communautés qui vacillent. A travers cette journée mondiale, les Nations Unies rappellent que la dégradation des terres n’est ni un phénomène lointain ni abstrait, mais une réalité tangible qui menace directement la sécurité alimentaire, les ressources en eau, la biodiversité, les économies locales, et plus largement, la stabilité sociale.
Chaque année, ce sont près de 100 millions d’hectares de terres fertiles qui disparaissent dans le monde, emportant avec elles la promesse de récoltes, de stabilité et de vie. L’Afrique, en première ligne de cette crise silencieuse, subit un rythme de désertification près de deux fois supérieur à la moyenne mondiale, selon la Convention des Nations unies sur la Lutte Contre la Désertification (CNULCD). Un phénomène qui n’est pas sans conséquence.
Entre 2020 et 2023, la sécheresse prolongée qui a frappé la Corne de l’Afrique en particulier l’Éthiopie, le Kenya et la Somalie a eu des répercussions dévastatrices. Environ 46 millions de personnes ont été directement affectées par cette crise, dont 13,5 millions ont été déplacées à l’intérieur de leur propre pays, et plus de 4,5 millions ont dû chercher refuge à l’étranger. La perte de bétail, ressource vitale pour les communautés pastorales de la région, est estimée à près de 9,5 millions de têtes. Les pertes économiques liées à cette hécatombe animale dépassent déjà 1,5 milliard de dollars américains. A cela s’ajoutent les coûts humanitaires, agricoles et sociaux qui restent difficilement quantifiables, mais qui amplifient encore l’ampleur des impacts subis par les populations vulnérables de la région.
A une échelle plus large, l’aridification croissante aurait entraîné une baisse de 12 % du PIB africain entre 1990 et 2015 et d’après un rapport de l’OMM, paru en 2024, l’Afrique perd en moyenne 2 % à 5 % de son PIB chaque année en raison des aléas climatiques. Sans mesures urgentes, la production agricole du continent pourrait chuter de 17 à 22 % d’ici 2050, accentuant l’insécurité alimentaire, la pauvreté rurale et les conflits liés à l’accès à la terre et à l’eau.
Pourtant, l’Afrique demeure aussi un continent d’espérance, porté par des savoirs traditionnels, une dynamique locale forte en faveur de la restauration des terres, et l'engagement croissant de sa jeunesse pour bâtir un avenir durable et résilient.
Des cadres en place, mais une action freinée par la fragmentation
Malgré l’urgence croissante de la situation, les efforts internationaux pour enrayer la désertification demeurent fragmentés, sous-financés, voire même relégués au second plan dans les priorités. Les trois Conventions de Rio, adoptées en 1992 pour répondre aux crises interconnectées du changement climatique, de la perte de biodiversité et de la dégradation des terres, continuent d’évoluer en silos, chacune selon son propre calendrier, ses priorités stratégiques et ses mécanismes de financement spécifiques. Cette gouvernance cloisonnée freine toute dynamique intégrée et limite considérablement l’impact des interventions, aussi bien au niveau international que national.
Dans de nombreux pays, notamment en Afrique, les points focaux des trois conventions opèrent encore de manière isolée, chacun tentant de remplir ses obligations avec des ressources humaines, techniques et financières non seulement insuffisantes, mais souvent inégalement réparties. Ce manque de coordination fragilise les réponses apportées sur le terrain et compromet la capacité des Etats à faire face à des enjeux pourtant étroitement liés.
Le déséquilibre est particulièrement flagrant en ce qui concerne la Convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification, trop souvent confinée au rang de « parent pauvre » des Conventions de Rio. Tandis que la Convention climat bénéficie d’un élan politique et financier majeur, porté par une conférence annuelle sous les projecteurs médiatiques mondiaux, les conventions sur la biodiversité et la désertification ne se réunissent que tous les deux ans, dans un silence quasi général. Ce traitement inéquitable contribue à marginaliser la lutte contre la dégradation des terres, alors même qu’elle est au cœur des autres crises écologiques : climat, biodiversité, sécurité alimentaire, accès à l’eau, et stabilité sociale.
A l’heure où la planète franchit des seuils critiques, il est impératif de rompre avec cette logique sectorielle. La dégradation des terres ne peut plus être la grande oubliée de l’agenda environnemental mondial.
Changeons de cap vers une gouvernance unifiée de la durabilité
Face à l’ampleur des défis et à l’échec des approches cloisonnées, des réformes profondes et courageuses s’imposent. Au niveau international, il est temps de repenser en profondeur la gouvernance environnementale mondiale. L’option de la tenue d’une Conférence des Parties unique et intégrée, réunissant climat, biodiversité et désertification apparaît ainsi comme une nécessité stratégique. Une telle convergence permettrait de bâtir un front commun, de mobiliser plus efficacement les ressources, de renforcer les synergies et surtout, de rétablir un équilibre entre les trois piliers du développement durable. Elle mettrait fin à l’invisibilisation persistante de la lutte contre la dégradation des terres, tout en réduisant les coûts, les doublons administratifs et l’empreinte carbone liés à la participation dispersée à des forums multiples.
Au niveau national, il est tout aussi urgent de rompre avec la multiplication de stratégies sectorielles qui diluent l’impact des actions. L’élaboration de cadres stratégiques unifiés, intégrant les contributions déterminées au niveau national (CDN), les plans d’action pour la biodiversité (NBSAP) et les programmes d’action nationaux (PAN) sur la désertification, s’impose comme une démarche cohérente et pragmatique. Certains pays l’ont compris. Le Panama, hôte du prochain Comité d’examen de la mise en œuvre de la CNULCD (CRIC 2025), trace la voie en élaborant un cadre unique regroupant les engagements des trois conventions de Rio. L’Afrique ne peut rester en marge de cette dynamique. Elle doit s’approprier ces approches intégrées pour construire des politiques environnementales plus lisibles, plus efficaces et mieux ancrées dans les réalités de ses territoires.
Co-construire les politiques au plus près des réalités
L’efficacité des politiques de lutte contre la désertification et la sécheresse ne peut se mesurer uniquement à l’existence de cadres stratégiques ou à la mobilisation de financements internationaux. Elle repose, avant tout, sur la capacité des pays à instaurer des espaces de dialogue durables, inclusifs et ancrés dans les réalités des territoires. Sans cette appropriation nationale et locale, les stratégies restent lettre morte et peinent à produire des résultats tangibles.
C’est précisément l’ambition portée par les plateformes multisectorielles nationales qu’encourage l’OSS dans le cadre de son appui aux pays africains. Ces plateformes réunissent, autour d’une même table, les acteurs des trois conventions de Rio (climat, terres, biodiversité) : ministères techniques, agences spécialisées, centres de recherche, collectivités territoriales, mais aussi organisations de la société civile. Jouant un rôle stratégique à plusieurs niveaux, elles contribuent à la définition des cibles nationales de neutralité en matière de dégradation des terres (NDT), d’adaptation au changement climatique et de préservation de la biodiversité. Elles assurent également l’élaboration des rapports nationaux destinés aux conventions, en s’appuyant sur des données consolidées, validées et partagées entre les institutions concernées.
Au-delà de leur fonction technique, ces plateformes deviennent de véritables laboratoires d’innovation politique et sociale. Elles favorisent une gouvernance ascendante (bottom-up), renforcent la participation citoyenne et contribuent à faire émerger une gouvernance environnementale plus démocratique, plus efficace et plus responsable. Soutenir et institutionnaliser ces plateformes nationales, c’est investir dans les fondations d’une gouvernance environnementale résiliente, légitime et capable de faire face aux défis complexes de demain.
L’OSS accompagne également les organisations de la société civile dans leurs efforts de plaidoyer et de sensibilisation auprès des communautés et des populations locales, souvent exposés en première ligne dans le combat contre la dégradation des terres. C’est dans cet esprit que s’inscrit l’initiative Désertif’Actions, forum international dédié aux OSC actives dans les zones arides. L’édition 2026, prévue en mars à Djerba (Tunisie), offrira une tribune majeure pour amplifier la voix des acteurs non étatiques, valoriser leurs expériences de terrain et renforcer leur contribution à l’agenda mondial de la restauration des terres.
Fidèle à ses missions, l’OSS est resté à la pointe des travaux liés à la désertification. Dans le cadre de ses actions récentes, il a produit en 2024 une carte de la dégradation des terres en Afrique (indicateur ODD 15.3.1), largement analysée et commentée dans son livre documentaire :Terres d’Afrique : la dégradation et l’impératif de la gestion durable. Par ailleurs, plusieurs plateformes et géo-serveurs intégrant données et imagerie satellitale ont été développés par l’Observatoire pour appuyer la prise de décision de ses pays membres dans leur lutte contre la dégradation des terres. Parmi ces outils, la plateforme Misland se distingue par ses performances et sa pertinence.
En cette Journée mondiale de lutte contre la désertification et la sécheresse 2025, l’Afrique rappelle au monde qu’elle n’est pas seulement un continent confronté aux crises, mais un continent force de proposition, riche en initiatives, en résilience et en solutions. Restaurer ses terres, c’est réconcilier justice sociale, prospérité économique et durabilité écologique. Les opportunités sont là. Il est temps de les saisir, avec détermination.
